ENTRETIEN A l'occasion d'un long entretien qu'il a accordé à Challenges, le PDG de l'alliance Renault-Nissan a reconnu qu'il déléguait moins et passait plus de la moitié de son temps en France.
"Prendre le leadership de la voiture électrique." Dans une salle toute blanche attenante à un grand hôtel de Cascais, dans la banlieue chic de Lisbonne,
Carlos Ghosn égrène ses propos sur le ton de l’évidence. Ça y est, les premiers modèles zéro émission de
Renault sont là: l’utilitaire Kangoo ZE, qui sort ces jours-ci, et la familiale Fluence ZE, en novembre. Deux véhicules vendus aux prix de leurs équivalents diesel, déduction faite de l’incitation fiscale de 5.000 euros, avec batterie au lithium-ion louée 82 euros par mois.
Deux véhicules très attendus. A l’automne 2009, les promesses tonitruantes de Ghosn aux Salons de Francfort et de Tokyo –il avait annoncé la sortie de huit modèles de l’Alliance d’ici à fin 2012 pour un investissement de 4 milliards d’euros– avaient suscité un certain émoi. Emoi renforcé quelques mois plus tard quand Renault-
Nissan se faisait brûler la politesse par
Peugeot,
Citroën,
Mitsubishi et
Subaru, qui avaient beaucoup moins communiqué sur le sujet.
"Nous n'avons pas de concurrents... à ce prix-là"
Aujourd’hui, le constructeur franco-japonais reprend la main. "Nous n’avons pas de concurrents, assure Ghosn, ni à ce niveau de prix, ni à ce niveau de prestations, ni à ce niveau d’offres." Ajoutant qu’en 2016 Renault-Nissan aura commercialisé 1,5 million de véhicules propres. Pour un marché qui devrait atteindre 10% des ventes à la fin de la décennie.
L’électrique, Ghosn y croit plus que jamais. Et les récentes polémiques sur la sécurité des batteries au lithium-ion ne changent rien à l’affaire. "Il y a 16.000 Nissan électriques qui roulent aux Etats-Unis et au Japon. S’il y avait un problème flagrant, cela se saurait."
Quant à l’autre technologie de batterie, au lithium-métal-polymère, celle des voitures en libre-service
Autolib’ de
Bolloré, il n’y trouve rien à redire. "Paris a pris la solution la plus économique. J’ai vu Bolloré hier (
mercredi 19, ndlr) et j’ai conduit sa Bluecar. C’est très bien. Nous avons intérêt à ce qu’il réussisse, ça stimulera la demande."
L’affaire des espions est assumée
Teint bronzé, en raison d’un récent séjour au Brésil, chemise blanche sans cravate, le PDG de Renault-Nissan est heureux de parler du véhicule zéro émission. Un vrai défi, une rupture, qui lui permet d’oublier (un peu) la désastreuse affaire des vrais-faux espions. "Je me suis trompé, nous nous sommes trompés, il semble que nous ayons été trompés", avait-il déclaré le 14 mars au 20 Heures de TF1.
Quelques minutes avant sa conférence sur Kangoo ZE et Fluence ZE, il en reparle avec nous. De manière détendue, presque décomplexée, mais sans entrer vraiment dans l’exercice d’introspection. Cette histoire et son retentissement sur toute la planète furent, on s’en doute, un calvaire pour Ghosn, patron orgueilleux, adulé partout, sauf en France. Pour autant, il affirme n’avoir jamais eu la tentation de Venise – ou plutôt la tentation de Detroit, puisque
General Motors lui avait fait un appel du pied il y a deux ans.
Un départ de Renault? L’hypothèse le fait éclater de rire. "Ai-je l’air si déprimé? Il n’y a pas un avant et un après. J’ai 57 ans, je suis patron de deux entreprises, ma carrière n’est pas devant moi. Je fais ce que j’ai à faire, je contribue. Je ne recherche pas de nouveaux horizons. Mon objectif, c’est de faire réussir l’Alliance, que l’on élargit maintenant à Daimler."
Après l’escapade lisboète, le groupe a annoncé une hausse de 11,9 % des ventes (9,7 millions d’euros), dont un record pour la branche automobile (+12%, à 9,3 millions). Et si le Losange a décrété, comme PSA, des mesures de chômage partiel, il confirme son objectif de progression des ventes et du chiffre d’affaires sur 2011.
Quant à l’affaire des vrais-faux espions, il rappelle que les responsables sont partis –quatre cadres dirigeants ont démissionné, dont son bras droit, Patrick Pélata– et que le service de sécurité a été remanié. "Je ne suis pas tellement à me retourner sur le passé, je me projette vers l’avenir. Je n’ai pas trop d’états d’âme sur ce qui s’est passé. Il y a des moments difficiles, je les assume. On en a tiré les conséquences vis-à-vis du conseil d’administration et de nos actionnaires."
Etre plus souvent en France
Depuis, Carlos Ghosn a repris les rênes de la maison. Son nouveau numéro deux, Carlos Tavares, a moins de pouvoir que Pélata. "Je suis le mandataire social, il n’y a qu’un patron chez Renault", martèle Ghosn. Les ressources humaines, l’audit, la maîtrise des risques et l’éthique sont désormais sous sa coupe, comme le haut de gamme, pour lequel il a de grandes ambitions. En particulier celle de créer une plate-forme commune avec Nissan et Mercedes.
Aujourd’hui, le PDG global délègue moins et passe plus de la moitié de son temps en France, contre 40 % avant l’affaire. Pas pour parfaire sa connaissance des pouvoirs publics ni cultiver son réseau avec les élus. Ghosn semble toujours aussi réfractaire au microcosme politique parisien. François Hollande? Connaît pas. Les clubs patronaux? Pas le temps d’y aller. "Je suis en France parce que je suis le patron de Renault. Quand je suis ailleurs, je sers l’Alliance." Une Alliance aux chiffres impressionnants. "Cette année, on dépassera les 8 millions de véhicules", dit Ghosn. De quoi rendre presque jaloux General Motors.
Nicolas Stiel (à Lisbonne)